Lorsque l’on évoquait Clust.com, il y à un ans, l’histoire a tout l’air d’une success story, comme seul Emmanuel Chain dans « Capital » pourrait nous les raconter.
Il est temps de vous raconter la vérité sur le miroir aux alouettes, même, si cela fait beaucoup moins « rêve américain » par rapport à ce que certains médias (Capital, par exemple, pour ne pas le nomer) ont pu raconter.
Mais où est donc passé le lauréat de prestigieux prix comme le trophée de « Capital IT » d’octobre l’an dernier récompensant la start-up ayant le meilleur potentiel, ou le lauréat des « clics d’or » pour le meilleur site internet marchand ?
Pour la première interrogation, on est en droit de se poser de sérieuses questions sur les compétences d’analyse et de jugement du comité de sélection de Capital IT qui accorde a priori plus d’importance à la forme d’un dossier qu’à son fond. Ils ont sans doute dû se tromper de prix, il devait s’agir du prix du meilleur potentiel pour se planter à court terme car claquer 25 MF [1] en 9 mois il faut le faire !
Je pense que certains investisseurs qui font de l’humour et la morale quand ils reçoivent par accident un fichier « vérolé », devraient focaliser leur attention sur l’étude des business models et parfaire leur connaissance du marché internet (les business models américains identiques à Clust avaient déjà « du plomb dans l’aile » et étaient pourtant positionnés sur un marché plus mature avec un potentiel nettement plus important). Messieurs les investisseurs, il est bien beau d’écrire des livres sur les « Business models de la nouvelle économie », encore faudrait-il que vous commenciez par les lire ! Pour en terminer avec Capital IT, notons que cette prestigieuse manifestation a le don inné de se planter, puisque lors de la session du mois de mars 2000, Joël Palix faisait partie du comité de sélection ainsi qu’un de ses business angels au sein de Clust, l’illustre Bernard Vergnes, président de Microsoft Europe. Il y a vraiment quelque chose de risible à conférer le rôle de spécialiste d’internet à quelqu’un qui sait certes bien en parler mais n’y connaît strictement rien, et ce ne sont les véritables professionnels d’internet (les pionniers) qui me contrediront !
Quant aux clics d’or, s’il n’y a pas grand’chose à redire au fait que Clust ait été désigné meilleur site internet car effectivement le site est plutôt sympa tant du côté de la charte graphique que de la navigabilité; il faut dire qu’avec B2L, GFI, CYPERUS, IMS FRONT CALL, MICROSOFT et 404 FOUND c’est aussi une belle « Dream Team », coûteuse on l’a vu plus haut, mais belle… Mais donner le prix du « Meilleur site marchand » à Clust c’est comme donner un diplôme de fin d’études à un étudiant de 1ère année ! Outre que le site n’avait qu’au plus 2 mois d’exploitation commerciale (honorer 200 commandes par mois c’est pas la mort pour ex-vépéciste !), il n’est surtout pas très compliqué de contrôler tant la chaîne logistique que les approvisionnements quand vous avez entre 30 et 35 jours pour livrer « en temps et en heure » une cafetière ou une imprimante…
Mais bon, les concours (Capital IT, Clics d’Or…) c’est comme pour les capital-risqueurs (Viventures, Partech et Galiléo), pour les séduire il y a quelques règles à suivre :
- Quitter un grand groupe en disant que vous souhaitez réaliser votre rêve et que vous en avez marre des grosses structures (c’est toujours mieux que le contraire même si c’est faux !).
- Constituer une équipe de démarrage qui sonne bien ! En clair on s’en fout qu’en réalité ils soient incompétents voire feineants, pourvus qu’ils aient un vécu, une expérience et surtout un nom, bref un CV… NB : Pour les avertis qui liront cet article c’est le fameux cycle de 2 ans qu’expliquait il y a plus de 10 ans Tricard Management, en clair un directeur commercial qui fait 2 ans là, 2 ans là et 2 ans là est censé être bon car il a fait sa carrière dans 3 belles sociétés alors que c’est tout le contraire !
- Avoir des qualités pour rédiger des business plans qui ne tiennent pas forcément la route mais qui se lisent bien. Ce n’est certes pas donné à tout le monde mais quand vous avez été cadre supérieur dans un groupe vous avez forcément chaque année concocté des budgets ou des plans de développement dont il a fallu débattre. Au passage avouez quand même qu’il fallait être bon sur le dossier Clust pour lever 15 MF sur dossier (eh oui sans que le site ne soit développé) et surtout arriver à berner 3 prestigieuses sociétés de Capital Risque en leur faisant avaler que la première année, Clust aurait 200 000 membres et un million en quatrième année, le tout en se privant, comme c’était le cas dans le business plan initial, de recettes publicitaires ! Le côté rassurant de l’histoire c’est qu’Excel peut être un fabuleux collaborateur si vous recherchez des fonds !
- Mettre un peu d’argent soi-même (mais pas trop quand même) mais surtout réunir des noms connus et de préférence des noms de grands PDG, et Clust était plutôt bien fourni de ce coté-là, n’est-ce pas ? Daniel Richard (président de Sephora et ex PDG de 3 Suisses France), Bernard Vergnes (président de Microsoft Europe), Pierre Sissmann (PDG d’Infogrames Europe), Frédéric Pie (président de agency.com France), Jacques-Christophe Blouzard (DG de lastminute.com France), Nicolas Leconte (président d’ETO).
- La tchatche, être une personne qui est toujours d’accord avec vous, une personne qui a du flair et qui sait d’où souffle le vent !
Que vont devenir les achats groupés où on a annoncé à tout va que c’était une véritable révolution car les acheteurs prenaient le pouvoir ? Et que va devenir Joël Palix, l’ex-directeur du développement du groupe 3 Suisses et initiateur français de cette ô combien « excellente » idée américaine d’achat groupés ?
Les sites d’achats groupés tels qu’ils sont actuellement organisés ne pourront pas survivre s’ils ne changent pas de business model rapidement.
Tout d’abord vous ne pouvez pas demander à un internaute d’attendre 30 jours pour obtenir 15 % de remise qu’il peut obtenir directement s’il est bon négociateur. Il faut donc une remise qui puisse justifier ce délai !
Ensuite vous ne pouvez pas attirer une demande forte quand vous précisez qu’il faut 50 personnes pour obtenir une remise de 40 %. Il faut donc réduire le nombre.
Par ailleurs, des produits se prêtent fort bien à l’achat groupé (Console de jeux, jeux vidéo, Ordinateur, Palm Pilot) mais d’autres beaucoup moins notamment les voitures, motos etc… Il faut donc sectoriser.
En fait mais personne ne l’a jamais dit ou écrit, l’achat groupé n’est qu’un leurre, une gigantesque et machiavélique arnaque marketing et rien de plus. Une méthode qui fait prendre le client final pour l’éternel idiot de service. On a voulu faire croire que c’était une trouvaille alors que le concept est vieux comme Erode ! N’importe quel acheteur de n’importe quel revendeur achète des produits à un grossiste ou au constructeur directement. Il a donc une remise initiale importante (fourchette variant selon la nature des produits de 20 à 40 %) en sa qualité d’intermédiaire. Les remises supplémentaires liées au quantitatif généré sont ridicules par rapport à la remise frontale, et ne peuvent devenir significatives que sur une grosse quantité en « one shot » ou sur un engagement annuel respectable. Faire croire aux clients finaux que se retrouver 5, puis 10, puis 15 personnes désirant le même produit allait augmenter leurs remises c’est se foutre foncièrement d’eux alors qu’il faudrait des quantités nettement plus importantes pour jouer réellement sur la notion de remise. C’est donc une belle arnaque tant pour les utilisateurs finaux que pour les capitaux risqueurs qui placent l’argent de leurs clients sans se soucier plus que cela du business model et encore moins des principales caractéristiques du marché et du circuit de la distribution qui peuvent être par ailleurs différents selon les secteurs !
Ce qui est regrettable dans l’échec de Clust c’est qu’il va réveiller de façon encore plus forte le scepticisme et la frivolité des investisseurs envers la nouvelle économie. J’espère toutefois que les capital-risqueurs feront preuve à l’avenir de plus d’humilité au lieu de se prendre pour les nouveaux nababs du web. On peut d’ailleurs se demander pourquoi ils ont lâché Clust après avoir investi 15 MF alors que ces mêmes investisseurs étaient en discussion avec d’autres pour réinjecter 100 MF pour son développement à l’international… au lieu de gérer leurs portefeuilles de placement internet selon la courbe d’évolution du NASDAQ, ils feraient mieux de prêter un peu plus d’attention aux qualités d’un business model et ensuite de se comporter en tant que partenaire en soutien plutôt qu’en bourreaux… Plus que l’échec de Clust et à travers lui le business model des achats groupés, c’est l’échec des capital-risqueurs français qui n’ont en commun avec leurs homologues nord-américains que le nom !
Dirigeant Mégalomane ?
Certaines raisons de l’échec de Clust sont au contraire à mettre au passif des dirigeants :
Une campagne de publicité de 5 MF alors que tous les média parlent de vous, c’est risible. Si on ajoute que les 2/3 de cette somme furent alloués à la communication off-line, ça frise le ridicule quand on connait le taux de connexion des Français. Faudra-t-il le répéter encore et encore aux pontes du web-marketing : les internautes sont sur internet. Aujourd’hui la communication off-line des sites web revient à louer Bercy pour un public de 50 personnes. Et qu’on arrête de dire que c’est important d’installer une marque aux yeux du grand public car lorsque les 75 % de Français qui ne sont pas connectés le seront, ils auront oublié le spot radio entendu 2 ans plus tôt.
Le CPO (coût par ordre pour les non initiés) de Clust avec ses 1.250 Frs (25 MF pour 20.000 membres).
En fait ce que je pense, c’est que Clust avec ses pères fondateurs seraient toujours sur le marché en 2001 si avec les 15 MF levés :
- Il avait su modéliser les exigences de son business model avec un recrutement cohérent tant dans la charge de travail que le niveau de rémunération de chaque collaborateur.
- S’il n’avait pas consacré 30 % des fonds levés dans une campagne publicitaire off-line autant dispendieuse qu’éphémère.
- S’il avait su faire évoluer son business model sur le fruit des faibles taux de transformation constatés les 6 premiers mois (20 MF d’intention d’achat et seulement 1 MF de transformé !)
Pour concept je pense que Joël Palix a oublié un élément fondamental pour faire passer le message au plus grand nombre de ses potentiels clients en communiquant large et tous azimuts : sa cible.
Connaissait-il sa cible ? Avait-il assez de recul pour la cerner réellement ? Son comportement, ses habitudes, etc. C’est le « béaba », pour communiquer efficacement il faut connaître sa cible ou se donner les moyens de mieux la connaître… en préférant le modèle off line mais l’affichage seulement au détriment de la notoriété presse et surtout on-line il a pris un énorme risque puisqu’il ne connaissait pas sa cible et il le paye durement aujourd’hui. Il aurait dû avec ce budget important multiplier les tests dans des revues, sur des campagnes on-line, etc. et mesurer les taux de transformation et analyser les retours pour voir leur profil !
Ce qui m’étonne le plus dans cette histoire c’est qu’il vient des 3 Suisses et qu’il est donc parfaitement rôdé à ces pratiques habituelles de la profession vépéciste qui est sans doute le business model de la vieille économie le plus approchant de l’e-commerce. Enfin, comment ne pas accuser de mégalomanes les dirigeants d’un site qui, n’ayant pas même fait ses preuves en France, n’ayant pas levé de second tour de table, tentent vainement de conquérir le reste de l’Europe en lançant un ambitieux mais illusoire programme de conquête de nouveaux territoires. Mégalomanie encore, quand on sait que Clust, à l’instar d’Akabi a reçu des propositions de rachat pour s’adosser à des grands portails et s’appuyer sur une communauté existante plutôt que de dépenser des millions pour se créer une illusion de communauté.
Je pense que le Gartner Group a raison : dans deux ans, 8 start-up sur 10 auront disparu, sacrifiées sur l’autel de la vanité, dévorées par un trop plein de fric tombé de nulle part, aveuglées par les crépitements des flashs.
[1] 15 MF d’investissements par trois sociétés de capital-risque et non des moindres puisqu’il s’agit de Viventures, Partech et Galiléo; et 10 MF de passif d’exploitation.